Des infirmières décrivent les effets de la faim sur les enfants

Massiye Nyang’wa, une infirmière qui travaille au Malawi, et Sœur Eugénie Andrée Benga, infirmière elle aussi, au Sénégal, décrivent les effets de la faim sur les enfants.

Pouvez-vous me parler de votre travail?

Massiye: Nous avons des unités sanitaires et des centres de nutrition. Si des enfants au-dessous de cinq ans souffrant de malnutrition aigue se présentent, nous les envoyons à l’hôpital.

Sister Eugénie Andrée Benga (à gauche)

Sœur Eugénie Andrée Benga (à gauche)

Il y a deux types de malnutrition au Malawi. Le premier, c’est le marasme : l’enfant a l’air normal, mais sa peau est fragile et, dans certains cas, se couvre de cloques. Avec le kwashiorkor, le deuxième type, ils ont une carence totale de nutriments : pas de glucides, ni de protéines, rien. Ils sont très émaciés. Ils ont l’air vieux, et leur peau aussi vieillit en se ridant. Leurs yeux sont enfoncés. Ils sont irritables quand on les touche. Ils n’ont pas de graisse sous la peau.

À cause de la malnutrition leurs cheveux deviennent fragiles et parfois tombent. Les enfants souffrant de la faim ont les yeux secs et le regard fixe. Les yeux ne bougent pas. Ces enfants produisent peu d’urine et de selles.

Sont-ils en mesure de marcher?

Massiye:Oui, ils peuvent marcher.

Mais ils se sentent défaillir, ont les vertiges. Ils ne voient pas clair. Ils n’ont pas envie de jouer. Ils veulent juste rester près de leur mère ou de quelqu’un en qui ils ont confiance.

Quand ils ont faim, ils dorment. Il n’y a pas beaucoup de mouvement.

Pouvez-vous me parler d’un enfant dont vous vous souvenez?

Sœur Eugénie: Cela s’est passé en septembre 2012. Une enfant qui souffrait d’une brûlure superficielle. Lorsqu’elle est venue au dispensaire pour les soins, en la regardant, j’ai senti qu’elle avait mal, certes, à cause de la brûlure, mais en plus elle avait soif et faim. Ses parents ne lui donnaient pas suffisamment à manger. Je lui ai donné du lait, elle a tout avalé d’un trait. Au moment où je soignais ses plaies, elle a commencé à lécher la crème anti-brûlure que j’étalais sur son corps. Ceux qui l’accompagnaient ont vraiment pris conscience qu’elle avait faim. Compte tenu de son état, elle ne pouvait pas manger des solides et j’ai continué à lui donner des liquides tout en la perfusant. Malheureusement, elle a rendu l’âme le soir quand tout semblait rentrer dans l’ordre.

Massiye Nyang'wa works with malnourished children in Malawi.

Massiye Nyang’wa, une infirmière qui travaille au Malawi

Quelle est la meilleure façon de nourrir un enfant souffrant de malnutrition aigue?

Massiye: Si vous leur donnez à manger, ils avaleront très rapidement en risquant de vomir. Il faut les nourrir lentement. Nous leur donnons du lait jusqu’à ce qu’ils aient pris du poids.

Dans certains cas, ils n’arrivent pas à ouvrir la bouche, car elle est sèche, et les dents sont serrées. Nous insérons un tube par le nez jusqu’à ce que l’enfant devienne réceptif. Nous avons sauvé la vie de nombreux enfants souffrant de malnutrition.

La malnutrition aigue affecte le cerveau, qui a lui aussi besoin de nourriture. Les enfants mal nourris ont des difficultés d’apprentissage et ne sont pas performants à l’école.

En cas de malnutrition chronique, les enfants ont à manger, mais c’est insuffisant, et leur croissance s’arrête.

Quels sont les autres effets de la faim?

Sister Eugénie: La faim provoque un dérèglement dans l’organisme, des perturbations au niveau de tous les systèmes. Tout est au ralenti, le sommeil perturbé, le tonus musculaire diminué, une baisse de la réceptivité à ce qui de passe autour de soi. La maladie se développe plus facilement chez ceux qui souffrent de la faim car ils n’ont pas assez d’anticorps pour la combattre.

Y a-t-il eu des années particulièrement néfastes?

Massiye: En 2002, la faim était très répandue ici, c’était impressionnant. Ils restaient là, comme si quelqu’un leur avait arraché l’estomac. Certains mouraient juste quand on leur donnait à manger, c’était comme s’ils avaient attendu ce moment.

Parfois on trouve des personnes âgées mortes à cause de la faim, elles n’avaient personne pour les défendre.

Que fait Caritas pour aider?

Massiye: Quand CADECOM (Caritas Malawi) trouve des personnes affamées, nous leur donnons des vivres et les aide à cultiver des jardins potagers, ou des produits comme les arachides. Nous aidons aussi les communautés à stocker les vivres dans des banques alimentaires. Et nous distribuons des animaux, comme les chèvres.

Sœur Eugénie: Dans ma région, au Sénégal, Caritas gère des projets de lutte contre la malnutrition chez les enfants et les femmes enceintes.

Elle apporte aussi des secours d’urgence, en distribuant des vivres, surtout après de mauvaises récoltes en fin d’hivernage ou durant la période de soudure.

Caritas pilote beaucoup de projets de développement dans les secteurs suivants: agriculture, assainissement, eau, élevage, santé et éducation, surtout pour aider les femmes. Le but c’est l’autosuffisance et la sécurité alimentaire.

Le Malawi a de bonnes terres. Pourquoi y a-t-il tant de faim?

Massiye: Les premiers aliments que l’on récolte sont utilisés comme source de revenu. En juillet ou août, il pourrait ne plus rien y avoir à mettre sur la table.

Nous avons beaucoup d’eau au Malawi, mais là où les pluies n’ont pas été suffisantes, on souffre de la faim. J’investirais dans des systèmes d’irrigation pour pouvoir avoir deux récoltes par an. Les personnes auraient ainsi plus de maïs et de légumes.

Que devrions-nous savoir en plus à propos de la faim?

Massiye: Quand les personnes infectées par le VIH n’ont pas à manger et prennent leur médicament, leur faim augmente. Le médicament est distribué dans le corps à travers la nourriture.

La faim au Malawi touche surtout les femmes. Une femme qui doit nourrir son enfant et son mari va jusqu’à se prostituer pour mettre quelque chose sur la table. La faim devient une question de parité hommes-femmes.

Sœur Eugénie: Elle peut entraîner : baisse de la productivité, mendicité, irritabilité, angoisse, agression, vol.

Il y a des endroits où l’on ne sent pas beaucoup le fléau de la faim, grâce à la solidarité des personnes qui aident.

Par contre dans certains milieux, c’est une honte, beaucoup ne mangent pas à leur faim mais gardent le silence ou donnent une autre image pour ne pas que les autres sachent ce qui leur arrive. Et le mal prend de l’ampleur

Interviews par Laura Sheahen

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