« La faim n’est pas un sujet populaire » : volonté du Pape François à nourrir la planète

Le 11 juin 2015, le Pape François a fait une discours à l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture à propos de la faim dans le monde. En voici quelques extraits :

Face à la misère d’un si grand nombre de nos frères et sœurs, je pense parfois que la question de la faim et du développement agricole est en train de devenir aujourd’hui un problème parmi tant d’autres en ces temps de crise. Et pourtant, partout autour de nous, les personnes qui ont du mal à manger régulièrement et sainement sont de plus en plus nombreuses. Mais au lieu d’agir, nous préférons déléguer, et déléguer à tous les niveaux. Et nous pensons: il y aura certainement quelqu’un qui s’en occupera. Peut-être un autre pays, ou tel gouvernement, ou telle organisation internationale. Notre tendance à «déserter» face à des thèmes difficiles est humaine; cela ne nous empêche pas de ne manquer aucune réunion, ou conférence ni de participer à la rédaction d’un document sur la question. Pour autant, il est impératif que nous agissions pour concrétiser l’accès à une alimentation adéquate, qui est un droit de chacun. Les droits n’admettent aucune exclusion!

Il ne suffit pas de faire le point sur la nutrition dans le monde, même s’il est nécessaire de mettre à jour les données, car celles-ci nous permettent de voir la dure réalité en face. Certes, il est réconfortant de savoir que le nombre de personnes qui souffraient de la faim en 1992 (1,2 milliard) s’est réduit, alors même que la population mondiale augmentait. Mais à quoi bon prendre acte des chiffres et prévoir une série d’engagements concrets et de recommandations à appliquer aux politiques et aux investissements si nous négligeons l’obligation d’«éliminer, à l’échelle mondiale, la faim et de prévenir toute forme de malnutrition (FAO/OMS, Déclaration de Rome sur la nutrition, 15 a)?

2. Les statistiques sur le gaspillage alimentaire ont de quoi préoccuper: un tiers des aliments produits sont perdus. Il y a aussi de quoi s’inquiéter quand on sait qu’une quantité importante de produits agricoles sont utilisés à des fins autres qu’alimentaires. Ils sont parfois employés à des fins louables, mais qui ne répondent pas aux besoins immédiats de ceux qui ont faim. Nous devons donc nous demander: que pouvons-nous faire? Et même, qu’est-ce que je fais, moi?

Il est essentiel de réduire le gaspillage, de même qu’il est essentiel de réfléchir aux usages non alimentaires des produits agricoles, lesquels sont utilisés en grande quantité pour l’alimentation animale ou pour produire du biocarburant. Certes, il faut veiller toujours plus à la protection de l’environnement, mais pouvons-nous continuer dans cette voie au détriment de certaines personnes? Il faut sensibiliser tous les pays aux choix alimentaires qui prévalent, sachant que ceux-ci varient selon les latitudes. Les pays du Sud doivent mettre l’accent sur la quantité car il leur faut nourrir une population qui s’accroît, tandis que les pays du Nord doivent s’attacher à la qualité des aliments et à leur valeur nutritionnelle. Mais, qu’il s’agisse de la qualité ou de la quantité, il pèse sur nous une situation d’insécurité qui est déterminée par l’incertitude climatique, l’augmentation de la demande et l’incertitude des prix.

Efforçons-nous, par conséquent, de nous engager plus résolument à modifier nos modes de vie et alors peut-être aurons-nous besoin de moins de ressources. La frugalité ne s’oppose pas au développement, bien au contraire. Il apparaît clairement aujourd’hui qu’elle est une condition du développement. Pour la FAO, cela veut dire aussi poursuivre sur la voie de la décentralisation, afin d’être en prise directe sur le monde rural et d’entendre les besoins des gens qu’elle est appelée à servir.

Demandons-nous aussi: quelle incidence a le marché et son fonctionnement sur la faim dans le monde? D’après les études de la FAO, depuis 2008, les prix des aliments ont doublé, puis ils se sont stabilisés, mais toujours à des valeurs élevées par rapport à la période antérieure. Des prix aussi instables empêchent les plus pauvres de faire des plans pour l’avenir ou de pouvoir compter sur une alimentation minimum. Les causes sont nombreuses. C’est à juste titre que nous nous inquiétons du changement climatique, mais nous ne pouvons oublier la spéculation financière. Citons comme exemple le prix du blé, du riz, du maïs ou encore du soja, qui oscille sur les places financières. Les cours sont parfois liés à des fonds de placement de sorte que plus ils augmentent et plus le fonds gagne d’argent. Là encore, essayons de nous engager dans une autre voie, pénétrons-nous de l’idée que les produits de la terre ont une valeur pour ainsi dire «sacrée» car ils sont le fruit du travail quotidien des hommes et des femmes, des familles, des communautés de paysans. Le travail qu’ils accomplissent est souvent dominé par l’incertitude, par les aléas météorologiques, par le risque toujours présent que la récolte soit détruite.

Le développement agricole, l’un des objectifs de la FAO, repose sur le travail de la terre, sur la pêche, l’élevage, les forêts. Le développement agricole doit être au centre de l’activité économique et prendre en compte les besoins divers des agriculteurs, des éleveurs, des pêcheurs et de ceux qui travaillent dans les forêts. …

3. En ce qui concerne cet engagement, il reste d’autres points critiques. Premièrement, il apparaît difficile d’accepter une résignation générique, le désintérêt, voire l’absence d’un si grand nombre, y compris les États. On a parfois l’impression que la faim est un thème impopulaire, un problème insoluble qui ne trouve aucune solution dans le cadre d’un mandat législatif ou présidentiel et qui, par conséquent, ne garantit pas le consensus. Les raisons qui poussent à limiter l’apport d’idées, de technologie, d’expertise et de financements tiennent à la réticence à assumer des engagements contraignants, parce que nous nous réfugions derrière la crise économique mondiale et l’idée que la faim frappe tous les pays sans exception: «Il y a aussi des personnes qui souffrent de la faim sur mon propre territoire, alors pourquoi devrais‑je consacrer des fonds à la coopération internationale?». Mais en faisant ce raisonnement, on oublie que si dans certains pays, la pauvreté est un problème social qui peut se résoudre, dans d’autres, il s’agit d’un problème structurel, et il ne suffit pas de mettre en œuvre des politiques sociales pour y faire face. Quoi qu’il en soit, cette tendance peut être inversée, pour peu que nous remettions la solidarité au cœur des relations internationales, et que nous passions des mots à la politique: la politique de l’autre. Si tous les États Membres se mettent à œuvrer au service de l’autre, la FAO ne tardera pas à obtenir le consensus pour agir et surtout, elle retrouvera sa fonction originelle, ce «fiat panis» qui figure dans son emblème.

Je pense également à l’éducation des personnes à une alimentation correcte. Tous les jours je rencontre des évêques des quatre coins du monde, des personnages politiques, des responsables économiques, des universitaires, et je me rends compte, de plus en plus, qu’aujourd’hui l’éducation nutritionnelle se décline sous des formes diverses. Nous savons qu’en Occident, le problème est la surconsommation et le gaspillage. Dans le Sud, en revanche, pour assurer la sécurité alimentaire, il faut stimuler la production locale, qui, dans de nombreux pays touchés par la «faim chronique», est remplacée par des importations, qui dans certains cas étaient initialement des aides alimentaires. Mais les aides d’urgence ne suffisent pas, sans compter qu’elles n’arrivent pas toujours dans les bonnes mains. C’est ainsi que se crée la dépendance à l’égard des grands producteurs et, si le pays ne dispose pas des moyens économiques nécessaires, la population finit par ne pas s’alimenter et la faim s’aggrave.

Lorsqu’on évoque le changement climatique, on pense aux déplacements forcés de populations et à toutes ces tragédies humaines nées du manque de ressources, parmi lesquelles, au premier chef, l’eau, qui provoque d’ores et déjà des conflits qui ne feront qu’augmenter. …

Il n’y a pas que l’eau, l’utilisation qui est faite des terres est aussi un grave problème. L’accaparement des terres cultivables par des entreprises transnationales et par des États est une cause croissante de préoccupation. Non seulement les agriculteurs sont privés d’un bien essentiel, mais en outre la souveraineté des pays est directement atteinte. Elles sont nombreuses les régions où les denrées alimentaires qui sont produites vont à des pays étrangers et où la population locale s’appauvrit doublement car elle n’a ni nourriture ni terres. Et que dire des femmes qui, dans bien des régions, ne peuvent posséder les terres qu’elles travaillent; que dire des inégalités de droits qui empêchent une vie familiale sereine car à tout moment la famille risque de perdre le champ dont elle dépend? Nous savons que la production alimentaire mondiale provient pour la plus grande partie des exploitations familiales. Il est donc important que la FAO œuvre au renforcement des associations d’agriculteurs et aux projets en faveur de l’agriculture familiale et qu’elle incite les États à réglementer sur une base équitable l’utilisation et la propriété des terres. Cet effort pourra contribuer à éliminer les inégalités, aujourd’hui au centre de l’attention internationale.

4. Il faut parvenir à la sécurité alimentaire malgré les différences entre les peuples – différences de lieu géographique, de conditions économiques et d’habitudes alimentaires. Travaillons à harmoniser les différences et à unir nos efforts et ainsi nous ne lirons plus que la sécurité alimentaire, pour le Nord, cela veut dire éliminer les graisses et inciter les gens à bouger, et que, pour le Sud, cela signifie pouvoir compter sur au moins un repas par jour.

C’est au quotidien que nous devons travailler si nous voulons changer les modes de vie, en étant conscient que chaque petit geste peut contribuer à rendre plus durable l’avenir de la famille humaine. Engageons-nous dans la lutte contre la faim sans arrière-pensée. D’après les projections de la FAO, il faut que d’ici à 2050, lorsque la terre comptera 9 milliards d’habitants, la production augmente et même double. Au lieu de nous laisser impressionner par ces chiffres, changeons aujourd’hui notre rapport aux ressources naturelles, à l’usage que nous faisons de la terre; changeons nos habitudes de consommation et ne tombons pas dans l’esclavage du consumérisme; cessons de gaspiller et nous vaincrons la faim.

L’Église, avec ses institutions et ses initiatives, marche à vos côtés, consciente que les ressources de la planète sont limitées et qu’il est absolument urgent d’en faire un usage qui soit durable afin d’assurer le développement agricole et alimentaire. Aussi s’engage-t-elle à favoriser les changements de comportement, pour le bien des générations futures. Que le Tout-Puissant bénisse votre travail.

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